La philanthropie ? Ce terme sonne de manière incongrue, voire désuète, aux oreilles de nombreuses personnes. Philos et anthropos, l’amour de l’humanité… Et par extension, l’ensemble des transferts de ressources (financières, en nature, en compétences, en temps…) librement consentis par des acteurs privés, en vue de servir le bien commun et d’améliorer la qualité de vie des personnes. La philanthropie serait-elle vraiment d’une autre époque ?
La réponse à cette question est clairement « Non » ! En réalité, elle connaît un véritable renouveau depuis plus d’une décennie : prise de conscience globale des urgences humanitaires et environnementales, dynamiques d’entrepreneuriat social, nouvelles approches philanthropiques empruntant aux méthodes du venture capital, figures philanthropiques charismatiques et inspirantes, mobilisation des réseaux sociaux et autres technologies numériques, etc. Bref, la philanthropie est actuelle, diversifiée dans ses formes, et plus que jamais nécessaire.
Malgré ce dynamisme, les acteurs du monde philanthropique s’interrogent : comment étendre sa pratique ? Comment la rendre plus efficiente ? Plus accessible ? Plus démocratique ? Nombreux sont ceux qui voient dans l’arrivée d’une nouvelle génération la source d’innovations susceptibles de transformer la philanthropie. Bien sûr, la « NextGen », terme utilisé pour désigner les jeunes héritiers des grandes familles philanthropes, arrive à la philanthropie avec de nouvelles visions et de nouvelles façons de faire. Mais d’autres jeunes, les « Millenials », seraient source de changements bien plus importants pour la philanthropie.
C’est à cette question que se sont intéressées Virginie XHAUFLAIR, Associate Professor, Chaire Baillet Latour, Centre d’Economie Sociale, HEC Liège et Elodie DESSY, Doctorante au Centre d’Economie Sociale, HEC Liège, dans le cadre d’une étude en partenariat avec la Banque de Luxembourg. « Et les résultats sont tellement stimulants que cette étude se prolonge désormais dans le cadre d’une recherche doctorale» souligne Philippe DEPOORTER, Membre du Comité de Direction de la Banque de Luxembourg.
Virginie Xhauflair et Elodie Dessy ont rencontré des jeunes belges et luxembourgeois qui ne se définissent pas comme philanthropes, mais qui, par leurs activités, contribuent à faire évoluer les pratiques philanthropiques. Parmi eux, des créateurs de plates-formes digitales permettant de faciliter la rencontre entre besoins d’expertise ou de temps et offre de bénévolat (Fovento, Sphax, Give a day, Serve the city, Share a dream,…), des créateurs d’outils de « générosité embarquée », de micro-don, de fundraising (Creo2, Crowd’In, Koalect,…), des animateurs de communautés sur les réseaux sociaux permettant de mobiliser l’énergie collective pour des actions d’intérêt général (par exemple Leo Not Happy), des concepteurs d’algorithmes permettant d’utiliser le potentiel des données numériques en soutien à des missions sociales (ce qu’on appelle la data philanthropy, telle que pratiquée notamment par Dalberg Data Insights), et bien d’autres encore…
Qu’apportent ces jeunes à la philanthropie ? D’abord, une conception très large de l’action philanthropique, non limitée aux dons d’argent, et la volonté que celle-ci soit accessible et pratiquée par tous, plutôt que réservée à une certaine élite financière. Ensuite, la conviction que tous les gestes comptent, et que c’est l’addition de ceux-ci qui permettra de faire la différence. Ils s’inscrivent clairement dans le « mouvement des colibris », créé d’après le conte améridien popularisé par Pierre Rabhi. Enfin, la conviction que la clé d’un changement global réside dans la cohérence des choix de chacun. Plutôt que de se « convertir » à la philanthropie au terme d’une carrière professionnelle ayant permis d’amasser de nombreux profits, parfois eux-mêmes « entachés d’externalités négatives », les jeunes préconisent d’intégrer l’intérêt général dans toutes les décisions, y compris professionnelles. Eux-mêmes souhaitent d’ailleurs pouvoir à terme vivre de leur projet en en faisant une entreprise. Ils veulent « être le changement ».
Les jeunes rencontrés ne délégitiment pas pour autant les acteurs philanthropiques et ne prétendent pas les remplacer. En réalité, ils voudraient surtout leur permettre de réaliser leur mission de manière plus efficiente, se plaçant ainsi dans une posture d’enabler, en renforçant de la sorte les capacités des organisations chargées de missions d’intérêt général.
Ils sont également convaincus que tous les acteurs ont un rôle à jouer. Tous, y compris les entreprises for profit. C’est en sortant des logiques de « silos » et en faisant travailler ensemble les différents types d’acteurs que des solutions innovantes pourront être conçues et mises en œuvre à grande échelle. A cette fin, les jeunes se posent en « connecteurs », en intermédiaires, dont la mission est justement de relier les mondes et les acteurs. Enfin, ils ne se posent pas en « disrupteurs », mais plutôt en upcyclers, recyclant les vieux outils, les vieilles pratiques, pour les adapter au 21e siècle et aux modes d’action de leur propre génération.