La crise actuelle du COVID-19 révèle les multiples failles de notre société. En ce compris, sur le plan économique. Nous découvrons avec stupéfaction la grande vulnérabilité du système actuel. En réalité, des décennies de quête d’efficacité nous ont fait progressivement oublier la notion de risque : nous avons encouragé l’anonymat sur les marchés financiers, délocalisé pour diminuer les coûts salariaux, habitué le consommateur à ne pas se poser de questions sur la qualité des produits ou sur les conditions de leur production. Nous avons privatisé et dérégulé les échanges économiques afin de réduire les dépenses publiques. Nous avons mis sous pression des systèmes de protection sociale et gaspillé les ressources limitées de la planète afin de soutenir autant que faire se peut la croissance.
Aujourd’hui, nous déplorons les « effets systémiques non voulus » de ce système économique : les inégalités sociales se creusent, les métiers importants ne sont plus envisageables dans nos contrées, la biodiversité s’effondre, le climat est déréglé, l’insécurité alimentaire se profile, les ressources naturelles s’épuisent. Une transition semble nécessaire : nous devons repenser nos manières d’organiser l’activité économique en privilégiant la vision d’une économie souhaitable, c’est-à-dire inclusive, circulaire, régénérative, qui opère dans les limites sociales et environnementales de la planète (si bien illustrées par le concept d’économie du Donut ). Toutefois, il n’est pas certain que cette transition se passera sans heurts. D’autres crises majeures vont probablement se succéder et il est grand temps de construire collectivement notre capacité de « résilience ». Ce concept de résilience, initialement utilisé en résistance des matériaux puis en psychologie, est aujourd’hui convoqué en sciences économiques et sociales pour désigner la capacité d’une société (ou plus spécifiquement d’un territoire) à se préparer aux chocs et aux crises, et surtout à les surmonter.
La résilience de nos territoires dépendra en grande partie du comportement des organisations qui en font partie, au premier rang desquelles se situent les entreprises. Au-delà des classiques injonctions à renforcer la prise en compte de préoccupations sociales ou environnementales dans leur gestion (ce qui est à juste titre prôné dans les démarches de responsabilité sociale des entreprises), quels sont les ingrédients de leurs business models qui semblent sources de résilience, d’abord pour leur propre survie, et ensuite pour le développement souhaitable des territoires sur lesquels elles opèrent ? De récents travaux de recherche menés au Centre d’Economie Sociale dans des branches d’activité aussi variées que l’énergie, les services aux personnes, le secteur agro-alimentaire, la finance, le recyclage ou encore la culture identifient 3 facteurs avec lesquels il faudra désormais compter si on s’intéresse à la performance des modèles sous l’angle de la résilience : l’ancrage local, la capacité de l’entreprise à se concevoir comme une communauté d’intérêts portés par différents stakeholders, la vision de long terme. Même s’ils n’en ont pas l’apanage, les modèles d’entreprises sociales se déploient autour de ces trois facteurs. En effet, que ce soit dans les circuits courts, dans la production d’énergie citoyenne, dans la finance éthique, dans l’insertion de personnes peu qualifiées via des activités d’économie circulaire, dans la production culturelle indépendante, ces entreprises rassemblent des associés (citoyens, consommateurs, travailleurs, fournisseurs auxquels se joignent parfois des investisseurs publics) qui partagent un même projet d’activité économique au service d’une finalité qui leur tient à cœur (réduction des inégalités, qualité des services, protection de l’environnement).
Ces entreprises sociales adoptent des modèles de gouvernance (modes de décision et de rémunération du capital) qui protègent leur finalité. Naturellement, ce type d’entreprise s’ancre dans son territoire, permet à des intérêts différents de se rencontrer et diminue les conflits qui peuvent les opposer. Plus fondamentalement, en donnant la priorité à une finalité sociale commune, ces modèles sont capables de fédérer autour d’une vision de long terme.
C’est aussi la responsabilité d’une école de gestion comme HEC Liège de soutenir et d’étudier ces modèles originaux d’entreprises. C’est en partie là que nous apprendrons ce qui servira demain la résilience de nos territoires.
Prof. Sybille MERTENS, Centre d’Economie Sociale, Chaire Sowecsom en Economie Sociale, HEC Liège