Intelligence artificielle et marché du travail : quelles compétences pour demain ?

Alors que l’intelligence artificielle (IA) s’impose depuis plusieurs années comme un thème majeur tant dans la littérature scientifique que professionnelle, nombre d’interrogations sur les impacts sur le marché du travail demeurent. Entre fatalisme et utopisme technologique, les entreprises peinent à se positionner face aux transformations qu’engendre l’IA sur leurs métiers et activités.

Sollicitée par l’Institut des Métiers Orange, notre équipe de recherche a choisi de se centrer sur la transformation du contenu des emplois et des tâches qui les composent, avec un focus sur le potentiel collaboratif et/ou substitutif des relations homme – machine. La démarche méthodologique, combinant approches quantitatives et qualitatives, visait à considérer les spécificités des contextes dans lesquels les usages se déploient ainsi que les comportements des acteurs qui les influencent.

Approcher les impacts de l’IA par les tâches conduit à circonscrire les compétences nécessaires pour les réaliser, ainsi qu’à caractériser l’évolution et le caractère plus ou moins remplaçable de certaines de ces dernières. Sur ce point, de nombreux travaux prédisent un bouleversement des compétences requises par les travailleurs. Dans la ligne de mire de ces publications figurent généralement deux postulats : celui de l’avènement de profils de compétences ultra-digitalisées et celui du renforcement des compétences dites « soft » telles que la créativité ou l’innovation, présumées irremplaçables.

Les résultats de notre étude montrent que l’IA tend effectivement à modifier l’équilibre entre les différents types de compétences mobilisées, quel que soit le métier analysé, en transformant la nature des composantes de la relation homme – machine. De cette modification de l’équilibre des compétences émergent trois enseignements fondamentaux, dont certains sont à rebours des postulats habituellement énoncés par les chantres de la révolution IA.

Tout d’abord, nos résultats consacrent l’importance de l’acquisition, par tous, d’un socle de compétences digitales de base permettant de s’approprier les applications d’IA et d’en comprendre les principes et limites. Ensuite, ils plaident pour le maintien de compétences soft ciblées selon les spécificités des métiers. Enfin, et c’est là l’apport majeur de notre étude, ils soulignent la centralité des compétences professionnelles propres à chaque métier (telles que les techniques d’entretien de recrutement en GRH ou les techniques de segmentation de la clientèle en marketing). C’est en effet au moyen des compétences métiers que les informations fournies par les applications d’IA peuvent être mises en contexte, et les éventuels biais repérés et corrigés. Les compétences métiers supportent la prise de décision en environnement assisté par l’IA, et sont également la clé de voûte de la résolution des tâches complexes, qui restent largement confiées aux collaborateurs.

Notons enfin que, si l’ensemble des processus clés d’une entreprise sont susceptibles d’être transformés par l’IA à des degrés divers, notre étude met en évidence l’importance des choix stratégiques et organisationnels dans la portée et les impacts perçus des applications d’IA sur la transformation des métiers. Ces derniers dépendront directement du sens que l’entreprise assignera aux innovations digitales et aux usages qu’elle souhaitera développer.

Marine FRANSSEN et Giseline RONDEAUX, Chargées de recherche, LENTIC – HEC Liège


Article paru dans le Spirit of Management n°41 – à lire ici